Galerie de l’hôtel de ville CHINON – transférée au 24 place du général de Gaulle – Du 10 juillet au 18 octobre 2020
Avec
Claire Trotignon
Jérémie Bruand
Nils Guadagnin
Diego Movilla
TRACES/
WE BUILD RUINS
Du mercredi au dimanche de 15h à 18h (ouvert les lundis en juillet et en août)
« Nous cheminons vers le sens dans la mesure où nous habitons en poète sur la terre. »
Friedrich Hölderlin.
De nombreuses réalisations humaines qu’elles soient architecturales ou artistiques, ont permis de confronter les femmes et les hommes à des constructions imaginaires et utopiques, bâties et modernistes. Souvent idéalisées au cours du 20ème siècle que ce soit par un architecte ou par un singulier, à travers une cité ou un palais, ces réalisations répondaient à des besoins pour satisfaire le corps, l’âme et l’esprit, afin d’Habiter poétiquement le monde, la maison du monde, selon le poète Friedrich Hölderlin, d’une manière collective mais aussi individuelle.
En novembre dernier, j’ai décidé d’inviter Claire Trotignon, Jérémie Bruand, Nils Guadagnin et Diego Movilla à concevoir cette exposition, résolue à ne pas rentrer dans un schéma d’exposition classique lié à une thématique ou lié à une technique artistique qui ferait lien entre ces artistes. Mes choix se sont portés sur une proximité géographique entre eux et sur cette possibilité intuitive de pouvoir les réunir autour d’un projet commun à bâtir ensemble. Leur maîtrise du volume et du plan, et cet esprit bâtisseur – dont ils ont fait preuve dans le passé – m’ont déterminé dans ce choix de commissariat d’exposition.
« Traces / We buid ruins » se déploie en une construction collective égrainant sur son passage les traces d’une représentation d’une nature et d’un monde tantôt perturbée par l’architecture, les techniques industrielles, les déchets et la main de l’homme ; tantôt idéalisée et remise au premier plan pour ne plus être qu’un décor de second plan et un objet de consommation en épuisement.
« Traces / We buid ruins » s’ouvre sur une cartographie et une sculpture de l’artiste Jérémie Bruand. « Volume Piano » est une construction géométrique et polygonale d’une souplesse structurelle, construite à partir des restes de plaques de ponçage industriel contrecollées sur du
bois et assemblées à l’intérieur par des charnières piano. L’épuisement complet de la surface du papier abrasif porte les innombrables traces des essences naturelles laissées le bois. La variété des bois et la linéarité laissée par le passage des machines sur ces déchets industriels deviennent ici des potentiels de matières et de couleurs. Jérémie Bruand rend signifiant ce qui ne vaut plus rien, des matériaux usés, sans valeur marchande. Il met en évidence l’usure d’un principe mécanique au profit d’une nature qui redevient visible et qui reprend forme.
Nos modes de consommation dont découle le phénomène d’abandon des déchets nous ont menés vers le plastiglomérat, responsable en autre, de la création d’une île artificielle en plein milieu de l’océan pacifique, une île dont la surface est équivalente à trois fois celle de la France. De cet intérêt rudologique, Nils Guadagnin détourne de leur fonction, les rebus de notre société de consommation, par des constructions structurelles rigoureuses, mêlées souvent à un équilibre instable. Pour « Untitled (Totem) », l’artiste utilise différents matériaux – pneu, carton d’emballage, béton, récipient plastique – jouant ainsi avec les formes, le cercle pour le pneu, le rectangle pour le carton, l’ovale pour le récipient plastique, la verticalité pour le néon. Ce recyclage des objets permet à l’artiste d’assembler en totem anthropomorphe, en corps-déchets une matrice des emblèmes de notre société de consommation, signifiant aussi que « Le destin du totem entraîne celui de l’homme », John Long.
Le temps détruit et efface peu à peu les interventions humaines, laissées à l’abandon par des migrations qui menaient les femmes et les hommes vers des territoires plus fertiles, plus chaleureux pour y trouver une vie meilleure. Aujourd’hui comme nous le rappelle Diego Movilla ces migrations vers une vie idéalisée font face à des murs, à des obstacles anti-intrusions, dangereux. Imprimée en 3D, « Unité de protection » est une réplique des répliques des murs de la honte. Le temps ne fait décidément rien à l’affaire. Il y a 31 ans, la chute du mur de Berlin entraînait la fin d’une dictature pour le rétablissement des libertés individuelles. Cette transition et ce passage entre deux modèles de société sont présentes dans la reproduction réalisée au fusain du « Saint Jean à Patmos, / d’après Nicolas Poussin » par Diego Movilla. La seule présence humaine sur cette oeuvre, celle de Saint Jean, a été effacé, dégommé par l’artiste. Quelles sont les sociétés, les pays et les religions à n’avoir pas voulu imposer un contrôle massif et une exploitation intéressée ? Les interventions de Diego Movilla s’attaquent aux représentations du pouvoir, à l’autorité et à nos modèles de société. En effaçant ces symboles, Diego Movilla donne une respiration à l’Histoire, effaçant la cruauté et la domination inégalitaire pour remettre au premier plan ce qui n’était que décor, ici une nature et ses représentations.
Au cours des deux derniers siècles, les traces sont devenues des éléments fondamentaux dans la construction des imaginaires contemporains et dans l’étude des civilisations. Les ruines et les vestiges sont les traces d’une mémoire, les empreintes laissées par une communauté humaine ou par la nature, le souvenir d’aménagements anciens, le passage entre le visible et l’invisible. Ces vestiges souvent en cohabitation avec la nature forment des paysages inattendus et hybrides suspendus dans le temps. Telles sont les oeuvres de Claire Trotignon, de cette tension dont elle a la maîtrise, naissent des paysages et des vestiges idéalisés, hybrides, déconstruits laissant planer une force d’extrapolations osées et poétiques.
L’exposition « Traces / We buid ruins » questionne notre rapport au monde à travers les traces que l’histoire nous a laissés et à travers celles que notre société laissera. Les oeuvres présentées ici répondent à une crise et à un besoin de penser et d’habiter le monde autrement. L’inexistence d’une quelconque représentation humaine dans cette exposition mettra frontalement le visiteur au centre d’un monde fracturé entre une obsolescence programmée et ce désir de nouveau monde.